15 place du Centre ou Général Leclerc
Sur la place du centre cet immeuble présente plusieurs caractéristiques de la Renaissance: sculptures autour de la porte, une façade plein sud aux ouvertures généreuses et un escalier en granite rampe sur rampe exceptionnel pour la ville de Lannion. Au XVIIème il abritait un commerce de draps et de soie. Vide depuis plusieurs années et en mauvais état, ce beau bâtiment mérite une restauration de qualité. Au travers d’un portage avec l’Établissement Public Foncier de Bretagne le conseil municipal a validé en décembre 2021 sa cession au profit de la SCI JEPE Trégor. Suite à l’obtention du permis de construire en mai 2023, l’acquisition a été actée en octobre 2023. La réhabilitation vise à créer un commerce ou un restaurant ainsi que 3 logements confortables (deux grands T2 et un T4 en duplex sous les combles). Des conventionnements avec l’ANAH et Action Logement permettront de surcroît de proposer des loyers sociaux à des locataires salariés du privé et aux revenus plafonnés.
Sommaire
1. Photos
2. Projet architectural
3. Étude historique
4. Articles de presse
1. Photos
2. Projet architectural
Le projet s’inscrit dans la redynamisation du centre historique et consiste à :
– mettre en valeur des éléments patrimoniaux, notamment les façades, la cage d’escalier et les planchers.
– créer un commerce en RDC d’environ 100m2, la surface actuelle sera agrandie par l’arrière
– aménager 3 logements dans les étages: 2 appartements de 60m2 et un appartement de 95m2 environ. Les salons seront orientés au sud face à la place et les chambres au calme sur l’arrière.
Cette réhabilitation sera l’occasion de mettre aux normes l’ensemble du bâtiment: coupes feu, réseaux d’eau et d’électricité, isolation thermique, étanchéité…
Calendrier prévisionnel:
Février 2024 : purge du bâtiment
Printemps 2024 : Sablage suivi de l’étude de structure
Automne 2024 : Préparation du dossier technique
Fin 2024 : Appels d’offre
Début 2025 : Montage des dossiers d’aides
Printemps 2025 : démarrage des travaux
Eté 2026 : Fin des travaux et mise en location
3. Historique de l’immeuble
Une étude de dendrochronologie menée par le bureau Dendrotech de Rennes a permis de dater les principales poutres du bâtiment. La construction a été réalisée en deux temps: le RDC date de 1612 et les étages de 1642.
Les archives nous fournissent quant à elle l’essentiel des informations concernant les propriétaires successifs.
1665 : Acquisition par Henri JAGOU, Sr de Tromenguy et Jeanne Le BEAU « marchand de drap et de soye » (Réformation de la noblesse à Lannion, AN P1629). Henry JAGOU est un marchand sans origine noble, il ne possède d’ailleurs pas de blason répertorié. Il a bien hérité quelques pièces de terre cultivable de ses parents mais il a surtout construit sa fortune par l’habilité de son commerce. Celui-ci portait sur plusieurs domaines: l’agriculture, le commerce de textile et les prêts usuriers. Il possédait en effet plusieurs fermes et pièces de terres autour de Lannion placées en fermage et qui lui rapportaient des revenus confortables. Les inventaires réalisés en 1663 juste avant son mariage et en 1691 juste après sa mort en témoignent (AD22 2E348 fond JAGOU). Il pratiquait par ailleurs le commerce de draps et de soie. La correspondance conservée aux archives montre qu’il pratiquait le négoce avec des marchands de Morlaix et le commerce de détail dans sa boutique à Lannion. Ses livres de comptes sont d’ailleurs extrêmement bien tenus. Enrichi, il achète en 1644 les 2 maisons en pan de bois à l’angle de la place du centre et de l’actuelle rue des Chapeliers (Réformation de la noblesse à Lannion, AN P1629). Le contrat d’acquisition de 1665 n’a pas contre pas été retrouvé malgré nos recherches aux archives départementales dans les fonds de notaires, la liasse de la famille JAGOU et dans les archives de l’auditoire.
En 1665 il acquiert donc notre immeuble qu’il loue à Françoise JAGOU, sa fille, tout juste mariée à Julien CHAUVEL, Sieur des Roches. Ceux-ci participent activement à l’activité commerciale de draps et de soie, en témoignent des livres de comptes particulièrement bien tenus.
Après le décès de sa première femme Jeanne LE BEAU,Henry JAGOU épouse en secondes noces Anne LE BOULOIGN qui lui donnera deux fils. Ceux-ci ne participeront pas au commerce de leur père. Pour information, voici l’arbre des descendants d’Henry JAGOU.
1690 : Henry JAGOU décède et dès l’année suivante les hostilités débutent entre les enfants issus de ces deux mariages. Les enfants du second mariage contestent le partage de l’héritage et chiffres à l’appui remettent même en cause l’inventaire des biens de leur père réalisé en 1663 soit avant son premier mariage (AD22 2E363). S’en suivent enquêtes, tentatives de médiation, procès puis appels. L’affaire est d’abord jugée à Lannion en 1727 et s’achève à la cour du parlement de Bretagne en 1736 qui déboute les CHAUVEL et évalue le préjudice à régler aux BOULOIGN avec les intérêts.
Après le décès de son père, Françoise JAGOU, dame des Roches, possède l’immeuble comme en témoigne le relevé de l’Egail de 1697 conservé à Lannion ( CC7 ). Par contre elle n’y habite plus, l’immeuble est placé en location. Peut être suite au décès de son mari Julien CHAUVEL survenu en 1695.
Au XVIIIème siècle l’immeuble reste dans la famille CHAUVEL, les relevés de capitations pour la rue Suzaine mentionnent régulièrement le Sieur CHAUVEL des Portes, il s’agit en fait de Hyacinthe Joseph CHAUVEL, le petit fils de Julien CHAUVEL, lieutenant au régiment de cavalerie de La Tour et fermier général de la seigneurie de Tonquédec. On le retrouve sur au moins quatre relevés de capitations, en 1753, 1755, 1767 et 1771. La capitation était un impôt direct établi par le roi de France, qui dépendait de la richesse des contribuables. Ses relevés conservés aux AD35 offrent aujourd’hui de précieuses informations sur les habitants de l’époque. Au XVIIIème siècle La famille CHAUVEL est influente sur Lannion, notamment avec Mathieu Joseph CHAUVEL, le frère cadet de Hyacinthe Joseph, qui est maire Lannion dans les années 1730 en même temps qu’il exerce une activité commerciale avec la location des trois magasins de la maisons de Penlan, l’actuelle pharmacie sur les quais (AD22 3E1/70).
En 1772 Hyacinthe Joseph CHAUVEL décède à Lannion à l’âge de 78 ans. Sa fille Catherine Ursule CHAUVEL, mariée en 1758 à Gabriel Johnatas Marie de CRESOLLE Sieur de TRETEN, héritent alors de l’immeuble mais ils n’y habitent pas. En effet ils ont leur résidence dans le faubourg de Kerampont.
1787: Pierre François Marie Le MENER de LESAMAER et Anne Marguerite SAMOUAL de LA ROGOTTIERE, jusqu’ici locataires de l’immeuble, deviennent propriétaires. Pierre François Marie Le MENER porte le titre de Noble Maître, il exerce la fonction de procureur fiscal pour la Seigneurie de Runfao. Sous l’ancien régime le procureur fiscal était l’officier chargé d’exercer le ministère public auprès du tribunal seigneurial. Il veillait aux droits du seigneur et aux objets d’intérêt commun. Dans l’acte de vente l’immeuble est ainsi décrit : « Grand Corps de Logis de plusieurs étages nommé l’hôtel Chauvel des Portes avec les caves, cour derrière et toutes dépendances quelconques ». Ne pouvant payer en une fois le prix de l’immeuble fixé à 4500 Livres, il règle comptant une partie et s’engage à verser une rente annuelle de 200 Livres payable à la Saint Michel. En garantie les acquéreurs accordent une hypothèque sur l’immeuble au profit des vendeurs (3E92-79 et 3E92-119).
1788: Après trente ans de mariage Catherine Ursule CHAUVEL se sépare de son mari Gabriel Johnatas Marie de CRESOLLE. Lui reste dans sa maison à Kerampont, elle déménage chez les Ursulines à Langoat et lègue à son fils Hyacinthe Marie l’ensemble de ses rentes. (AD22 3E50/106)
1789: Hyacinthe Marie de CRESOLLES et son épouse Marie Yvonne Le FLEM, demeurant à Kerampont, revendent à Jean Joseph Daniel de Kerbriand avocat à Lannion et au parlement, leur rente de 200 Livres. (AD22 3E92/119).
1800: Jérôme GANET, facteur à Morlaix, est mentionné comme propriétaire sur le plan Burdelot. Il est en réalité propriétaire de par son épouse, Marie Anne Le MENER qui a hérité de l’immeuble des parents sus-nommés. Lors de la vente de 1811 la maison est ainsi décrite: « RDC d’une entrée, d’un salon et une cuisine, cave en dessous, deux fours sur le derrière où existe un hangar et un corridor à trois étages servant à la fréquentation des latrines, une petite maison à buée et une écurie ; au premier étage de la maison une chambre donnant sur la rue et une autre sur la cour, même appartement au second et troisième étage avec grenier par dessus. » AD22 4Q1524 (hypothèque). L’immeuble est alors loué aux époux FOURQUET. Cette description montre que le RDC n’était pas à vocation commerciale, d’ailleurs la déclaration au Domaine du Roy de la fin du XVIIème siècle ne mentionnait pas de droit d’étal non plus. L’immeuble se rapproche plutôt de l’hôtel particulier : dédié à l’habitation d’une famille prestigieuse et à l’accueil d’invités, son architecture généreuse offre un confort qui impressionne les visiteurs.
1811 : Charles DUFOUR, époux de Marie BOHIC et négociant à Lannion, acquiert l’immeuble. Ce sera sa seule propriété et suite au décès de sa femme il revend l’immeuble.
1847 : Mlle Denise Le GRUIEC, commerçante à Lannion, acquiert l’immeuble auprès des DUFOUR pour la somme de 9000 francs, payés par moitié le jour de l’acte et par moitié 4 ans plus tard.
1856 : René ROBERT, principal du collège rue des capucins et professeur rue de Kerampont achète l’immeuble avec son épouse Marie Louise PERROT. Au recensement de 1861, il est pour une raison inconnue présenté comme négociant. En 1867 celui-ci décède mais l’immeuble reste dans la famille. A son mariage en 1872 leur fille Jeanne Marie ROBERT y réside en compagnie de son époux Yves Julien LESPAGNOL, capitaine au long-cours. Le propriétaire est par contre René Marie ROBERT, le frère de Jeanne Marie. Il était gouverneur de Tahiti dans les années 1883 (Le Lannionnais 59/214). Il devint Capitaine de Frégate le 9 février 1889 et chargé des torpilleurs de réserve le 18 mai 1899. Ayant demandé un congé en raison de sa santé devenue très mauvaise, il décède dans sa chambre d’hôtel à Contrexeville le 24 juin 1889.
1882: Charles CREAC’H acquiert l’immeuble. Suite à son décès en 1892, la propriété passe à son épouse. Aujourd’hui encore l’immeuble est connu sous le nom CREAC’H.
1983: Suite à un partage Paul CREAC’H devient propriétaire alors que Michel FERRAGUT loue le commerce du RDC. Une épicerie au début qu’il transforme rapidement en mercerie et qu’il tiendra jusqu’à son départ en retraite en 2017. A cette occasion il explique au journal Le Trégor « J’ai pris le commerce le 24 décembre 1968. Mon père venait de décéder. Avec ma mère, ils tenaient une épicerie place du Centre. J’ai été libéré de mes obligations militaires et j’ai décidé de prendre la suite du commerce. À l’époque, toutes les professions avaient un magasin sur la place du Centre. On vendait les produits Hédiard et Fauchon. » En raison de la concurrence générée par la première grande surface installée à Lannion en 1972, il décide de transformer son commerce en mercerie et bénéficie de la mode du canevas. « Je n’y connaissais rien, j’ai tout appris moi-même. En huit jours, on est passé de l’épicerie à la mercerie. »
2016: Paul CREAC’H âgé de 83 ans cède l’immeuble à la ville de Lannion au travers d’un portage EPF, qui devra s’assurer du devenir de ce patrimoine.
2023: Suite à une candidature formulée est 2021 et un permis de construire obtenu au printemps 2023 la SCI JEPE Trégor devient propriétaire le l’immeuble en vue d’une réhabilitation complète.
Selon les auteurs l’immeuble sera nommé hôtel CHAUVEL, CREAC’H ou FERRAGUT, du nom de la dernière boutique en place. Le premier propriétaire connu est en réalité Henry JAGOU, propriétaire et riche commerçant du milieu XVIIè. Puis durant un siècle la maison a abrité une partie de la famille noble CHAUVEL des Portes avant d’être transmises à des notables du centre ville, hommes de loi, négociants et commerçants.
4. Articles de presse
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